mercredi 19 décembre 2007

Frisson d'hiver

Il fait froid, si froid. Mes petites mains sont gelées malgré la douce chaleur du foyer. Dehors le froid est si mordant que les carreaux des vitres sont recouvert d'une bonne couche de glace. La rosée matinale sera encore toute transie demain.
C'est déjà l'hiver. Qu'importe que le calendrier nous place encore en automne. Les feuilles mortes ont depuis longtemps désertés les branches nues des arbres que le blanc à recouvert. C'est un temps à rester au chaud, a contempler les lumières du sapin, à regarder de vieux albums photos, à lire...




Cette pendule de Saxe, qui retarde et sonne treize heures parmi ses fleurs et ses dieux, à qui a-t-elle été ? Pense qu’elle est venue de Saxe par les longues diligences autrefois.

(De singulières ombres pendent aux vitres usées.)

Et ta glace de Venise, profonde comme une froide fontaine, en un rivage de guivres dédorées, qui s’y est miré ? Ah ! je suis sûr que plus d’une femme a baigné dans cette eau le péché de sa beauté ; et peut-être verrais-je un fantôme nu si je regardais longtemps.

— Vilain, tu dis souvent de méchantes choses..

(Je vois des toiles d’araignées au haut des grandes croisées.)

Notre bahut encore est très vieux : contemple comme ce feu rougit son triste bois ; les rideaux amortis ont son âge, et la tapisserie des fauteuils dénués de fard, et les anciennes gravures des murs, et toutes nos vieilleries ? Est-ce qu’il ne te semble pas, même, que les bengalis et l’oiseau bleu ont déteint avec le temps ?

(Ne songe pas aux toiles d’araignées qui tremblent au haut des grandes croisées.)

Tu aimes tout cela et voilà pourquoi je puis vivre auprès de toi. N’as-tu pas désiré, ma sœur au regard de jadis, qu’en un de mes poèmes apparussent ces mots « la grâce de choses fanées » ? Les objets neufs te déplaisent ; à toi aussi, ils font peur avec leur hardiesse criarde, et tu te sentirais le besoin de les user, ce qui est bien difficile à faire pour ceux qui ne goûtent pas l’action.

Viens, ferme ton vieil almanach allemand, que tu lis avec attention, bien qu’il ait paru il y a plus de cent ans et que les rois qu’il annonce soient tous morts, et, sur l’antique tapis couché, la tête appuyée parmi tes genoux charitables dans ta robe pâlie, ô calme enfant, je te parlerai pendant des heures ; il n’y a plus de champs et les rues sont vides, je te parlerai de nos meubles... Tu es distraite ?

(Ces toiles d’araignées grelottent au haut des grandes croisées.)


Stéphane Mallarmé — Divagations
Anecdotes ou poèmes.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Encore une de ces petites merveilles servies sur un plateau au lycée... Quelle atmosphère magique! Le mystère des vieux objets...

Stolvezen a dit…

Toujours dans cette classe de Première.
Je ne remercierai jamais assez cette étrange prof qui nous à plongé dans le monde de la poésie en prose. Sans son intervention je n'aurais sans doute jamais découvert Mallarmé.
C'est un auteur particulier dont la poésie est presque scientifique. Il utilise des mots anciens ou désuets et d'autres mots compliqués dont j'ignorais jusqu'à l'existence. Il a également le don de mélanger l'ordre 'normal' d'une phrase. C'est une poésie complexe et très technique qui dégage une sorte de magie froide à la limite du compréhensible. Une poésie ésotérique.
Curieusement, Mallarmé me fait penser au 7.